Sola

Berlevåg 02/2024

Caressé par un soleil qui reste timide.

Son passage furtif

illumine les façades colorées,

Ici,

on réapprend à apprécier,

les instants éphémères,

les couleurs fugaces,

les moments déjà passés.

L’astre murmure en dernier

aux mouettes,

qui se rient de nous,

déjà dans l’ombre

JMM 02/2024

Synapse

Les liaisons invisibles

se tissent,

entre les êtres et les lieux

Alors, j’ai confié aux vents

et aux courants

mon souhait

d’y retourner

Le temps est absent

de l’équation.

Immatérialité

de l’attachement

JMM janvier 2024

Particules.

Sommarøy 02/2019

Les flocons étaient venus

endimancher les rochers

avant que ne vienne la marée.

D’un crépuscule naissant

nuances et reflets nacrés

repoussaient l’obscurité.

JMM décembre 2023

L’extraordinaire voyage.

février 2023

S’arrêter,

un instant, un moment,

Laisser ses pupilles,

prendre le temps

de sentir que nous sommes

au premier rang, d’un voyage étonnant

l’océan a baissé la garde

la glace grignote l’espace.

Le spectateur comprend qu’il se soit d’être patient.

l’eau en suspension murmure à la montagne

qu’elle a perdu sa place.

qu’elle passe derrière le blanc rideau.

Spectateur, oublie le temps

C’est au dernier acte

que le nuage délivre

les flocons

qui rejoignent l’océan transi

et la glace conquérante.

Celui qui se pose sur ta paupière,

devient larme.

Spectateur, prends ton temps,

Baisse ta garde,

Laisse l’eau

rompre tes digues.

JMM 04/2023

Dans tous ses états

Berlevåg 02/2023

L’eau dans tous ses états

qui passe entre nos doigts

que j’ai souillée,

qui disparaît.

L’eau dans tous ses excès,

devenue marché,

qu’on s’accapare

pour ne point la partager.

L’eau de nos larmes,

Celle de l’enfance,

à pieds joints

dans la flaque,

j’aimais t’éclabousser.

JMM mars 2023

Frêles particules

Lakselv 02/2023

Un vent mauvais

avait décidé de tout emporter.

Le plateau était balayé

les grains de neige roulaient.

Nous étions ballottés et secoués.

Frêles particules.

Nous ne sommes guère plus

solides.

Nous accrochons notre route

à de minces piquets.

JMM 03/2023

D’émotion

Honningsvag 02/2023

Lorsque me submerge

la beauté du monde,

me revient enfant

l’odeur de cette pluie,

le vert des feuilles de peuplier

sur des nuages de colère

gagnés par un soleil alors incertain.

Déjà se pose sur une paupière

un flocon, larme d’émotion.

JMM 03/2023

Il est plus que temps…

Berlevåg 01/2022

Il est plus que temps…

d’entreprendre le périple

l’appel se fait pressant,

l’horloge interne des équilibres instables

distille sa lancinante petite mélodie.

Il est plus que temps

de prendre le vent

d’arpenter le blanc,

d’écouter le chant

lancinant de l’océan.

JMM janvier 2023

L’été accablant. L’hiver murmurait.

Berlevåg 01/2022

La folle course autour de l’astre

nous avait transportés dans le brasier

trop fou des étés chancelants.

Fournaises incessantes

par nous déclenchées.

J’étais saisi,

évaluant les jours qui séparaient

le moment où les trois dames

nous toiseraient à nouveau.

JMM août 2022

Nécessité d’un port.

Cette impatience,

l’attente des balises,

entrer dans le port et s’amarrer.

Trop tangué, remué, heurté des coursives trop étroites

Dans ces courants dérivants et toxiques.

Un océan qui hurle,

pendant qu’on assassine les sirènes.

Des vents qui beuglent

les haines et remugles.

Descendre la passerelle

Retrouver l’humanité

la communauté,

un sourire,

loin.

JMM février 2022

couleurs boréales

Les couleurs boréales
n’ont d’égale
que la puissance des lames
qui viennent se briser.
Les plus précieuses
de ces couleurs
sont si fugaces
que le jour semble
déjà tourner la page.
Ephémères,
Jamais nos rétines n’oublient
Que dansent les émeraudes
des embruns et les nuages
de cornaline.

JMM février 2022

I kveld, ce soir…


La nuit s’est déjà rapprochée.
Les maisons s’illuminent.
Dehors les pas crissent sur la neige glacée
On se prend à imaginer derrière ces fenêtres
Le calme et la chaleur,
Les cheveux lâchés,
La douce vapeur qui s’échappe
d’une tasse de thé.
Demain encore, le soleil ne paraîtra pas.
Que nos foyers illuminent
ceux qui cheminent
Les épaules poudrées de mille flocons

Muggianu JM février 2022

Kjaerlighet

Montre-le

Illumine-le

Laisse les flocons s’y poser

et s’en aller.

Qu’il irradie nos routes

et nos chemins

les petits matins

et nos doutes.

JMM Octobre 2021

Ni la neige,

Ni la neige

Ni le vent

Ne peuvent recouvrir

ces souvenirs

que tu tiens blottis.

Ni la nuit

Ni l’horloge

Ne pourront ternir

L’éclat de nos rires

Laisse

tes doigts

caresser la neige

tes lèvres

rencontrer le vent

et sentir à nouveau

ce qui te semblait perdu.

JMM Octobre 2021

Sur chacun de ces ilots

Sur chacun de ces ilots,

je donnerai une forme,

j’y lirai une légende oubliée,

je déposerai une bouteille remplie de mots doux.

De chacun,

j’observerai le soleil couchant,

j’arpenterai les recoins

à la recherche d’une poussière d’étoile.

A chacun,

je dédierai un chant,

les sourires rencontrés,

les regards embués.

A tous,

je les remercierai

Sans eux, je n’aurais été

qu’encore plus imparfait,

Alors, je partirai.

Septembre 2021 JMM

Le ciel ne se dégageait qu’à peine.

Il est des ciels incertains.

De ces périodes où tu ne sais prédire ce que le vent amène.

Une part de l’humanité qui s’effiloche et détricote. Qui ignore les appels pressants d’une jeunesse qui sait que le navire qui vient de la voir naître est menacé des pires tempêtes.

On n’a pas interrogé les savoirs, on les a juste niés, on n’écoute ceux qui appellent, on les tient responsables.

Le timonier hésite et tergiverse,

La lune observe d’un oeil distrait

les roulis et tangages

l’équipage incrimine la boussole.

Cartes, livres penseurs et cartographes sont aux arrêts.

A fond de cale, ils étudient.

La tendre lumière

d’un hublot mal taillé

éclaire les calculs.

Mais viendra le temps,

un mousse,

ou la jeune navigatrice

libèreront les savoirs

les amarres et les portulans

Il est plus que temps

le vent fraîchit

les embruns recouvrent le pont.

septembre 2021 JMM

Que l’hiver ne s’en aille.

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Certaines de mes photos me font peur, elles m’inquiètent.

Je ne voulais pas être témoin de l’écroulement que nous provoquons, je ne voulais pas voir mon reflet dans des eaux où j’attendais la glace et la neige.

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La rivière ne s’est pas tue au creux de l’hiver. Elle murmure à quelques pas de nous sous sa douce couverture blanche.

Doucement organique, on dirait des corps lovés sous des draps immaculés. Leurs formes douces rêvent d’immensité et du chemin qui les mènera au large.

L’hiver semble perdre son territoire. Il se retire, il abandonne, il faiblit. Même ici.

Bientôt, il n’y aura même plus de draps pour recouvrir la belle alanguie. La rivière sera nue.

Les enfants réciteront le bonhomme hiver comme un personnage de fiction et fabriqueront des bonhommes de neige en papier-crépon, nous nous souviendrons des roses de printemps figées par un gel un peu trop tardif  et des origamis déposés sur nos vitres.

L’hiver qui souffre et se meurt annonce des étés qui brûleront nos âmes et nos terres. S’il  se retire ici, nos forêts partiront avec nos vignes et nos oliviers dans une vaine  poursuite d’un monde trop blessé, trop balafré pour désormais les accueillir. Comme tous les migrants d’aujourd’hui, désespérés et rejetés, ignorés et malmenés.

Nous savons qu’il est tard. L’heure tourne, le cliquetis est de plus en plus entêtant mais nous restons résignés. Comme si le photographe attendait que le soleil soit passé sous l’horizon pour déclencher.

Il est tard, mais encore temps, de renverser des tables un peu trop sages pour être honnêtes.

 

ACIA Web

 

La cabane du pêcheur

Atelier rouge, Kvaloya

Comme beaucoup d’autres, elle est rouge et blanche cette cabane du pêcheur.

Elle attire l’œil et elle m’interpelle car chaque fois que je passe devant, je la trouve joyeuse et pimpante.

Les verticales ne le sont plus vraiment et feraient le désespoir du prof de maths. Même l’échelle de bois joue aux perspectives pour faire croire qu’elle est déployée.

Un petit nichoir en bois est à l’abri de l’avancée du toit. Visiteur, entre et installe-toi.

J’y devine à l’intérieur mille et une sorties dans le fjord, des parties de pêche homériques et des loupés retentissants. Des souvenirs d’enfants qui pour la première fois ont eu le droit de monter à bord.

Posées sur une table, il doit y avoir des boules de verre entourées de filets de corde qui servent de flotteur. Billes de lumière qui captent les rayons du soleil que le printemps  distille par petites touches.

Bidons anciens en fer qui rouillent et rongent des publicités qui nous rappellent nos jeunes années. Pièces d’accastillage qui ne serviront plus. Bouts de corde tressée durcis par le sel.

Les cabanes qui sont vivantes comme celles-ci ressemblent à ces albums photos où les plus anciennes sont rangées et étiquetées avec soin mais les plus récentes sont déposées là, un peu à la va-vite. Un jour, un jour peut-être, on les rangera, mais pas aujourd’hui, on n’a pas le temps, le temps file vous comprenez…

On a repeint la cabane du pêcheur. Les souvenirs à l’intérieur sont à l’abri des morsures du froid et du vent, des effluves salées qu’il ramène du fjord.

Le bateau sortira bientôt. Il y aura à coup sûr une petite nouveauté cette année, un coup de peinture, un nouveau cordage. Le fjord et ses profondeurs attendent ces petites marques de respect.

 

 

 

 

Cercle polaire

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« Le cercle arctique marque la limite sud du jour polaire lors du solstice de juin et de la nuit polaire lors du solstice de décembre. Au-delà du cercle arctique, le Soleil reste au-dessus de l’horizon pendant au moins vingt-quatre heures consécutives au moins une fois dans l’année (soleil de minuit). Réciproquement, le Soleil reste en dessous de l’horizon pendant au moins vingt-quatre heures consécutives une autre fois dans l’année. »    source Wikipédia

Aux alentours de 7h30, le 4 février, le MS/Vesteralen, son équipage et ses passagers franchissent le cercle polaire.

Que représente cette ligne ? Qu’évoque-t-elle ?

L’enfant qui en entend parler pour la première fois, souvent à l’école primaire, l’associe certainement à la glace, aux baleines, aux icebergs, aux peuples du Nord qui s’accrochent à ces terres qui semblent inhospitalières, aux ours, aux aurores boréales.

On pense aussi à tous ces marins qui prenaient des risques fous pour explorer, traquer les baleines pendant des mois, à ces découvreurs qui venaient découvrir ces terres, « évangéliser » les Sámis, cartographier ces terres en vue de s’approprier leurs richesses.

A ce propos, je vous conseille l’excellent roman d’Olivier Truc : « Le cartographe des Indes Boréales » aux éditions Métailié, dont le héros, jeune basque, est venu cartographier au XVIIème siècle,  la Laponie.

Mais revenons à ce cercle, mais plus singulièrement à ce qu’il évoque chez ceux qui le franchissent… Quelques minutes après l’avoir franchi l’équipage organisait une petite cérémonie bon enfant sur le pont arrière recouvert de neige. Les femmes et les hommes sur le pont pensent peut-être endosser quelques secondes le frisson qui soufflait sur Amundsen,  Paul-Emile Victor ou plus récemment Nicolas Vannier. Les membres d’équipage glissent gentiment un peu d’eau glacée et quelques glaçons aux nouveaux « minis-intrépides ».

Une once de fierté, pour certains, d’aller « voir le froid », pour d’autres de se rapprocher un peu de l’axe en bois mythique qui transperçait le globe terrestre que la maîtresse posait sur l’étagère un peu trop haute pour nous, de se rapprocher des fées célestes qui illumineront peut-être le ciel ce soir, de découvrir quelques aspects de la culture Sámi , de ce peuple autochtone, qui vit au nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande ainsi que la péninsule de Kola en Russie.

Je ne sais toujours pas, par quelle étrangeté, comme je le racontais dans mon précédent post, je me sens chez moi ici. Pour quelle raison ce besoin irrépressible de venir ici, hiver après hiver, parcourir les mêmes routes, marcher dans la neige, observer les mêmes phares, les mêmes bateaux, les lacs gelés et les rennes calmes, les aigles des mers qui glissent sur des couvertures de flocons, les îles qui sortent dix fois par jour des nuages,  pour être en quête de cette lumière.

Une lumière qu’on devine en permanence même sous l’averse floconneuse, quand il bruine, quand le soleil revient, lorsque le vent bien frais soulève des myriades de cristaux de glace qui viennent pailleter devant toi un paysage déjà sublime

Franchir ce cercle, c’est pousser la porte d’une salle que tu connais déjà mais qui continue de garder son mystère, une salle à l’histoire tellement riche que tu n’as fait que l’effleurer, dont tu sais qu’elle est menacée par des forces anthropiques qui modifient sa température, son fragile équilibre, sa beauté.

Quelques heures après avoir franchi cette ligne, je prenais cette photo, qui est pour moi le symbole de l’entrée de cette salle magnifique. La sentinelle, le phare de Landego.

Le phare nous éclaire, nous guide. Les maisons à ses pieds nous rappellent que l’être humain y est venu, y a construit, en a fait son abri. La sentinelle me rappelle surtout que cet endroit est unique, mais que pour le mériter, comme sur toutes les parcelles de cette terre, nous ne sommes que de passage et que ce cheminement doit être bref, indolore et  respectueux.

Je m’y sens chez moi, mais mes pas doivent vite s’effacer car ce qui m’accueille ne m’appartient pas.

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Landego Fyr

4 février 2020 67°27’12.876″ N 14°24’32.118″ E

 

 

 

 

 

Encore…

Les lumières de l’arctique me manquent.

Départ le 1er février.

Arrivés à Bergen, deuxième ville de la Norvège, située au bord de l’océan atlantique, nous prendrons un des plus petits navires de l’express côtier le MS/Vesteralen, pour Tromsø, ville de l’arctique située 1200 km au nord de la cité hanséatique.

ms-vesteralen-kirkenes

Pendant ce périple de 4 jours, nous passerons par les villes d’Ålesund, Molde, Kristiansund, nous franchirons ensuite le cercle polaire, Bodø, puis les îles Lofoten pour arriver ensuite à Tromsø, ville universitaire, située par 69° nord et ce qui en fait « la ville de plus de 50 000 habitants la plus septentrionale du monde. »

bergen tromso

Il s’agit de notre 9° voyage dans l’arctique.

Contrairement à l’hiver dernier, où, partis plus tôt, nous n’avions vu que le dernier jour de notre périple le soleil ( 4 minutes seulement ), cette année, au moment de notre arrivée la « nuit polaire » sera terminée à Tromsø. Chaque jour, nous gagnerons 10 minutes en plus de durée du jour ( ce ne sera que 2 à 3 minutes à Marseille pendant la même période ),  ce qui est considérable.

Chaque soir, il nous faut préparer un itinéraire en fonction de la météo qui est attendue. D’abord pour la sécurité. Circuler dans l’arctique nécessite une automobile adaptée et surtout une conduite adaptée. Il arrive même que la circulation  y soit interdite car les conditions peuvent parfois être extrêmes.

Retrouver les gestes du quotidien, revêtir les 3 couches de vêtements amples, mettre les deux paires de gants, ajuster son bonnet préféré, dégager les accès chaque matin au logement, tracer un échappatoire à son véhicule pour qu’il puisse rejoindre la route, y entrer en essayant de ne pas y faire entrer trop de neige pour le mettre en route et commencer à dégivrer les vitres. Et entamer le long travail de déneigement.

Mettre ensuite le cap sur un endroit préparé à l’avance en fonction de la météo et de ce que nous avons prévu pour la photographie. La présence de vent, la possibilité de tempête de neige, un ciel clair, des nuages bas, vont nous dicter notre programme de la journée.

Bien entendu, les imprévus sont attendus, souhaités, espérés. Une chouette épervière, des pyrargues, des élans ou des rennes, un front de neige qui fonce sur vous, des moments de la vie quotidienne en Norvège, un bateau de pêche qui accoste.

Etre juste disponible pour sa passion, se protéger rapidement et sortir avec son sac photo, les boîtiers, les objectifs, les trépieds. Avant d’atteindre l’endroit, respirer, écouter, ressentir l’immense chance de se trouver là. Regarder tous ces points lumineux sur la côte et penser à toutes ces maisons en bois peint, ces dizaines de petits cocons douillets où chaque fenêtre, chaque lucarne est éclairée par une petite lampe, une décoration lumineuse, une guirlande.

Très immodestement, je me sens chez moi dans cette région de l’arctique. Ce n’est que le neuvième voyage mais c’est ici que je ressens pleinement ma passion pour la photo. Peu de chances que les photos prises là haut y trouvent le moindre acheteur, mais je sais qu’elles questionnent plus que celles que je prends ailleurs. Parce que l’émotion y est à son comble, que chaque déclenchement est intime. Mes photos y sont souvent dépouillées, à l’image de ce que je ressens en posant le pied ici. A peine arrivé ici, j’échappe à la fureur du monde, le flocon qui vient cingler mon visage a plus d’importance que les petits soucis du quotidien, l’envol d’un aigle des mers vient bouleverser les émotions, l’arrivée soudaine d’une bourrasque de neige débarrasse mon plancher mental souvent trop encombré.

Et le soir, de retour, à genou sur le canapé, regarder les lumières du fjord disparaître et revenir au rythme des averses de neige. Scruter l’apparition des aurores boréales, fixer jusqu’à la sortie du fjord les feux d’un navire. se sentir avalé par ce coin. Un « détox mental »…

Chacun a son endroit pour se sentir libéré de mille poids et des scories de la vie. Pour nous c’est ici…

Nous ne nous y sommes jamais sentis en vacances. Nous y sommes bien, c’est tout et c’est énorme. Et là, mes photos y sont le reflet de mon âme, de mes doutes, de mes émerveillements.

Rendez-vous ici très bientôt pour y suivre « 2020, les lumières arctiques« .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne pourrais pas…

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Kvaloya, janvier 2019. Un instant en harmonie totale.

 

J’ai parfois entendu, au retour de nos périples cette phrase « Ah, moi, je ne pourrais pas… ».

le froid, la glace et la neige, cette immensité blanche, ces mots qui nous rappellent les bancs du collège lors des premières leçons de géographie: taïga et toundra. Une appréhension mêlée de curiosité. La crainte de ne pouvoir apprécier un environnement certes beau sur les photos mais qui semble hostile.

Il n’y a qu’un pas à franchir. Une décision, jamais évidente, facile et toujours alimentée par une crainte sourde, une phrase mille fois répétée pour justifier ce refus. Au détour d’un sentier, d’une montagne, d’une dune.

Je voudrais écrire là  qu’il nous faut pousser la porte. Nous sommes programmés depuis la nuit des temps à passer sous les porches qui nous mènent vers d’autres lumières, vers d’autres chemins.

Où que nous soyons, à l’endroit même où le chemin que nous avons façonné nous mènera, il y a toujours un moment où nous oublions ce que nous sommes; les morsures du froid, les blessures qui nous taraudent à longueur de temps pour entrer, un moment, en harmonie avec un milieu qui nous semble un peu trop âpre, peut-être hostile, à coup sûr éloigné de nos habitudes.

Ce moment arrive toujours, dans l’arctique comme partout sur terre.

C’est alors un sentiment puissant, comme une vague magnifiquement dessinée, où ce qu’on observe, curieux mais encore étranger à ce nouveau milieu, va nous saisir, nous envelopper, et nous libérer du carcan de nos représentations, de nos craintes, de nos schémas maintes fois ressassés.

Toutes les digues lâchent les unes après les autres pour que l’on ne fasse plus qu’un avec la scène qui nous est offerte. A cet instant précis, le voyageur est dans le paysage, il n’en est plus le spectateur. Il perçoit chaque nuance de couleur infime, il est ému par un reflet ou une silhouette qui passe derrière le pont. Il ne ressent pas le froid puis qu’il est le froid, il ne craint plus l’immensité puisqu’il est partie infime et inaliénable de cette immensité. Il devine quel bloc de glace vient de craquer, sa joue droite vient d’être caressée par une infime brise venue du fjord. Il perçoit, au loin le mouvement d’un renne dont il ne soupçonnait même pas l’existence quelques instants plus tôt.

Ces quelques minutes, lui prouvent qu’il a eu raison de franchir le pas. Il sera toujours temps tout à l’heure de sentir le froid, de pester contre des flocons qui crépitent contre son front. Ses préoccupations, ses problèmes seront bientôt de retour, mais il ne sera plus jamais le même.

Cette expérience rend plus humble car on abandonne alors cette toute puissance que nous pensons immodestement avoir dans notre milieu habituel. Elle nous a mis en harmonie avec un espace inconnu doté de ses propres règles. Celles-ci nous semblent alors plus naturelles, plus facilement acceptables. Entrer en harmonie avec un nouvel espace c’est se dépouiller afin d’apprendre de lui son fonctionnement, sa poésie et parfois aussi sa dureté.

La phrase qu’on a prononcée jadis « je ne pourrais pas » nous semble maintenant lointaine. On reverra, ici ou ailleurs, dans deux jours ou deux ans une merveilleuse vague magnifiquement dessinée nous bouleverser et nous offrir une nouvelle expérience après un nouveau pas, un passage sous un autre porche.

Se balader avec une lampe tempête, le bras levé, les yeux fixés sur l’horizon d’une terre inconnue.

 

 

La neige arrive…

Averse de neige sur Tinsnes

averse de neige, Tinsnes, 01/2019

Voir arriver le nuage, la lumière s’étiole, les couleurs de la mer s’éteignent et les vagues terminent de rouler pour commencer à murmurer.

Les premiers flocons sont souvent assez frêles et peu nombreux. les éclaireurs annoncent la venue.

Comme une conservatrice d’exposition vient, le dernier jour, recouvrir les sculptures d’un drap blanc, celui qui contemple voit alors s’avancer le grand rideau. Il a recouvert la montagne, les vagues, puis la maison près de laquelle tu t’étais arrêté.

Tu es désormais sans ombre et les couleurs ne comptent plus. Tu évolues dans une dentelle qui roule sur toi indéfiniment.

Les mailles de ce crochet filent parfois et cognent ton front, ta bouche; Leur délicatesse est telle que pas un ne résiste. Il est temps de s’en protéger à présent et de ne pas leur laisser prise. Le souvenir de l’enfant que tu as été et qui ne les voyait que si rarement t’effleure et tu te surprends à lever la tête en direction du ciel, et à en gober un ou deux, friandise magique.

La dentelle continue de rouler sur toi mais il te semble que d’autres dentellières ont repris l’ouvrage, voici une apprentie dont le travail est encore grossier, sans imagination. Son travail s’entend sur tes habits, petits « plips » presque métalliques qui rebondissent et sautillent sans grâce… D’autres se pressent maintenant à l’ouvrage pour la remplacer et versent sur le paysage d’autres motifs, d’autres schémas. De temps en temps, même les vagues ne disent plus rien.

Revenu bien au chaud, tu quittes le silence de ce paysage qui est en train d’évoluer, ton regard se perd par la fenêtre en direction d’un lampadaire tandis que mille fils blancs semblent le contourner pour avoir le privilège de rejoindre l’épais tapis. En t’approchant de la vitre, un peu de buée s’est formée et tes yeux parcourent, comme tu le faisais jadis, la myriade de minuscules gouttes qui attrapent la lumière chaude de l’abat-jour.

Que font les rennes et les élans maintenant qu’ils sont cachés au regard de l’homme ?. Quelle danse entament-ils ? Quel sabbat réalisent-ils pour remercier les jolies dentellières du ciel ? Laisse tourbillonner la neige.

 

 

 

Retour…. Nuit polaire ? Pas vraiment…

Grøtfjord, la plage

Revenir dans l’arctique, tout près de Tromsø, sur l’île de Kvaløya, au cœur de l’hiver. Nous avions décidé de partir cette année sans le soleil, pendant la « nuit polaire ».

D’aucuns pensent que la nuit y règne en maîtresse incontestée et incontestable sur la neige, la glace, les montagnes et l’océan, les hommes, les rennes, les élans et les chiens.

S’il est vrai que l’astre du jour en ce début de mois de janvier ne se montre pas, sa lumière irradie faiblement à la mi-journée pour nous offrir une journée compressée. Une aube et un crépuscule à peine séparés par une feuille de neige.

Sans doute, les hôtes de ces lieux savourent ces très particulières heures à leur juste valeur. Il ne s’agirait pas de gaspiller son temps et laisser ainsi mépriser cette précieuse lumière. Sans doute y apprécie-t-on cette clarté diaphane qui signale autour de 14h30 que le soleil poursuit sa course et quitte l’arctique pour une longue, très longue nuit d’une vingtaine d’heures.

Comme dans le roman d’Olivier Truc « le dernier Lapon », son héros attend de retrouver son ombre. Elle y disparaît pour deux mois et vivre sans elle n’est pas une coquetterie. Au moment de s’en aller les derniers jours de novembre, elle était devenue gigantesque, grotesque, comme si elle se moquait de notre égo, peut-être un peu trop dimensionné. Partie, sommes-nous encore les mêmes ? Sans notre étoile, prenons-nous conscience de notre fragilité, de notre nature ?

Pourtant, le paysage n’y est pas triste, morne ou désespéré. Une teinte bleuâtre maquille les paysages enneigés, les aubes ou le crépuscule affichent parfois des couleurs exceptionnelles qui ravissent les cœurs.

La nuit, les norvégiens laissent les lumières allumées, toute la nuit, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. L’obscurité n’est jamais maîtresse ici là où les hommes sont. Et là où les animaux vivent, le soleil a bien pris soin de semer ça et là, les aurores boréales.

Décidément, la « nuit polaire » est une formule bien étrange !

 

 

Jamais assez rapide…

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70°9’29.73″ N 22°18’1.439″ E Oksfjord

2016-08-04 15:36:43

Glacier, mer, brume et nuages.

Le glacier recouvre la montagne, une de ses langues semble plonger vers la mer. Avec la montagne, il forme avec elle les seuls éléments sur lesquels l’œil est susceptible de s’accrocher. Le vent cet après-midi est un peu turbulent, deux petits rennes un peu téméraires qui s’étaient un peu approchés préfèrent prendre la tangente.

Les nuages au dessus des montagnes et du glacier se déchiquettent rapidement, comme s’ils étaient trop fragiles dans ce paysage de jeunes montagnes aux crêtes un peu trop aiguisées et au glacier qui pourrait les avaler au plus vite. D’autres surgissent mais sont aussitôt éparpillés, armée trop légère pour inquiéter les montagnes et la glace bleue de l’Øksfjordjøkelen.

Aux pieds de la montagne, un rapide tapis roulant de brume glisse sur le fjord, escamotant les pieds de la montagne.

Mouvement lent du glacier qui s’oppose aux mouvements incessants de la mer des nuages et du banc de brume. Mon trépied est un peu trop malmené par le vent et il m’est difficile de filmer correctement.

Maelstrom dans lequel nous sommes pris. La lumière évolue chaque seconde, chaque déclenchement est une photo totalement différente.

Et si j’étais trop lent pour capter le moment ? Bien trop maladroit pour saisir la bonne lumière ? N’y a-t-il pas lieu ici d’être infiniment heureux de n’être qu’une minuscule marionnette au milieu d’un spectacle ? Ne pas avoir le temps de tout régler, d’assurer la composition, de soigner son cadre.

Peut-être garder quelques secondes pour regarder les derniers soubresauts d’un nuage un peu retors, se promener sur le tapis roulant de brume comme les enfants tirant leur frêle bagage sur les trottoirs roulants de l’aéroport, jouer à 1,2,3, soleil avec le glacier qui vient une nouvelle fois de disparaître, et se dire qu’on a la chance extraordinaire de pouvoir assister à une frénésie des éléments qui jouent autour et se jouent de nous.